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22 mars 2020 7 22 /03 /mars /2020 16:01

Journal des débats politiques et littéraires du 6 janvier 1857 : Maladie contagieuse des animaux. La cocotte. Défense de l'administration. Infraction.

 

COUR IMPERIALE DE ROUEN (chambre correctionnelle). Présidence de M. LETENDRE DE TOURVILLE. Audience du 2 janvier.

 

Ce procès soulevait une question dont les agriculteurs du département de la Seine-Inférieure et la Société centrale d'agriculture elle-même se sont, dans ces derniers temps, assez vivement préoccupés.

Il s'agissait de savoir si l'on doit considérer comme une maladie contagieuse, dans le sens de la loi pénale, une affection propre aux bestiaux, vulgairement appelée cocotte (*), et dont sont atteints depuis 1840 un grand nombre de vaches et de bœufs. Cette maladie, contagieuse dans le sens littéral du mot, puisqu'elle se communique soit par le virus physique, soit par le virus volatil, pour parler le langage de l'art vétérinaire, n'est pas mortelle et ne porte aucune atteinte à la qualité de la viande, mais elle fait baver les bestiaux, peut les priver de lait pendant quelques jours et rend leur marche difficile. Jamais l'administration n'avait pris aucune mesure préventive contre la circulation des bêtes atteintes, et il parait que dans ces dernières années la maladie a pris de tels développements, qu'une grande partie des bœufs et des vaches amenés aux marchés de Poissy et de Sceaux en sont affectés. Voici dans quelles circonstances le tribunal correctionnel, puis la Cour, ont été amenés à s'occuper, au point de vue pénal, du caractère de cette maladie :

Le 1er septembre dernier, le sieur DUMENIL, cultivateur à Hautot-sur-Seine et fils du maire de la commune, avait acheté deux vaches à la foire d'Elbeuf. Ramenées chez lui, elles furent  peu de temps après atteintes de la cocotte; il les avait laissées pendant quelques jours dans l'herbage de son père, quand le 14 septembre, jour de l'ouverture du pâturage commun, en vertu du droit coutumier normand, il les envoya à la prairie sans qu'elles fussent encore guéries. Des réclamations s'étant élevées de la part de quelques habitants, le maire invita le sieur DUMENIL fils à les retirer; mais celui-ci n'ayant pas tenu compte de l'injonction, et des plaintes ayant été portées à l'adjoint, ce fonctionnaire, délégué par le maire, donna, le 15 septembre dans la matinée, au sieur DUMENIL l'ordre formel de retirer ses vaches de la pâture commune (*). Cet ordre ne fut pas immédiatement exécuté. Un douanier, le sieur CORBRAN, qui avait lui aussi, une vache dans la prairie, voulut faire sortir celles de DUMENIL, qui persista à les y laisser jusqu'à deux heures de l'après midi.

Procès-verbal de ces faits fut dressé par l'adjoint et transmis au procureur impérial, qui fit citer le sieur DUMENIL en police correctionnelle, comme prévenu d'avoir, au mépris des de l'administration, laissé des bestiaux infectés de maladies contagieuses communiquer avec d'autres, délit aggravé de cette circonstance qu'il en serait résulté une contagion parmi les autres bestiaux, vingt-huit vaches et un porc ayant été, à Hautot, atteints de la cocotte dans les derniers jours de septembre.

Les articles 459, 460 et 461 du Code pénal sont ainsi conçus :

« Art. 459. Tout détenteur ou gardien d'animaux ou de bestiaux soupçonnés d'être infectés de maladie contagieuse, qui n'aura pas averti sur-le-champ le maire de la commune où ils se trouvent, et qui, même avant que le maire ait répondu à l'avertissement, ne les aura pas tenus renfermés, sera puni d'un emprisonnement

de six jours à deux mois et d'une amende de 16 Fr. à 200 Fr.

» Art. 460. Seront également punis d'un emprisonnement de deux mois à six mois et d'une amende de 100 Fr. à 500 Fr., ceux qui, au mépris des défenses de l'administration, auront laissé leurs animaux ou bestiaux infectés communiquer avec d'autres.

» Art. 461. Si de la communication mentionnée au présent article il est résulté une contagion parmi les autres animaux, ceux qui auront contrevenu aux défenses de l'autorité administrative seront punis d'un emprisonnement de deux ans à cinq ans, et d'une-amende de 100 Fr. à 1,000 Fr. le tout sans préjudice de l'exécution des lois et règlements relatifs aux maladies épizootiques et de l'application des peines y portées. »

Par application de ces dispositions, le tribunal de police correctionnelle de Rouen, qui avait reconnu en même temps l'existence de circonstances atténuantes en faveur du prévenu, avait, le 26 novembre dernier, condamné le sieur DUMENIL à un mois de prison et à 500 Fr. d'amende. Celui-ci a interjeté appel, M. LE CONSEILLER JUSTIN a présenté le rapport de l'affaire, et dans une étude complète de la législation sur la matière, a cherché à quelles conditions il était possible de reconnaître, au point de vue légal, une maladie contagieuse. Me RENAUDEAU-D’ARC, avocat du sieur DUMENIL, a commencé en signalant à la Cour tout qui s'attachait à ce procès. S'il fallait, en effet, admettre avec les premiers juges que la cocotte est une maladie contagieuse, il en pourrait résulter comme conséquence l'interdiction de faire circuler sur les routes, de vendre aux foires et dans les marchés les bestiaux atteints de cette affection, sous peine de se voir frapper par des rigueurs du genre de celles dont le prévenu a été victime. Or, les marchés auxquels s'approvisionnent Paris et Rouen reçoivent chaque jour, sous les yeux des préposés de l'administration des bœufs et des vaches malades de la cocotte, envoyés à ces marchés par des cultivateurs de tout pays. Si le jugement pouvait être confirmé, cette simple circulation deviendrait un délit, et le cultivateur serait obligé de tenir ses bestiaux renfermés, sinon menacé de prison et d'amende. C'est ce qui fait que les agriculteurs se sont émus de la décision rendue par le tribunal de Rouen et que l'attention de la Société d'agriculture a été appelée sur cette question. Voyons donc si, dans la décision dont est appel, on ne s'est pas complètement trompé sur le sens et la portée des dispositions pénales qu'il s'agissait d'appliquer. L'avocat entre ici dans l'examen des lois antérieures au Code pénal qui se sont occupées des maladies contagieuses. Il cite notamment l'arrêt du conseil du 16 juillet 1784 et l'arrêté du Directoire du 27 messidor an V, pour en conclure que l'esprit de toutes ces lois démontre qu'elles n'étaient faites qu'en vue de maladies contagieuses d'une gravité suffisante pour entraîner la mort des bestiaux. L'article 1er de l'arrêt de 1784 révèle bien cette pensée, lorsqu'il cite, comme exemples la morve, le charbon, la clavetée, le farcin, la rage. Si le Code pénal ne contient pas d'énumération du même genre, il se reporte lui-même à ces anciennes lois non abrogées, et la sévérité des peines qu'il édicte est la meilleure preuve du caractère de gravité que doit avoir la maladie à propos de laquelle il s'agirait de l'appliquer. Or, qu'est-ce que la cocotte ? C’est une affection qui n'offre aucun danger et se guérit d'elle-même; les vaches mangent et ont peu de lait pendant quelques jours; elles ont mal dans la bouche et au fourchet des pieds, puis tous ces accidents disparaissent sans qu'il soit même besoin de l'homme de l'art. S’il est permis d'appliquer aux bêtes, pour caractériser cet état, une expression dont notre langue française ne les a pas honorées, il serait vrai de dire que ce n'est pas une maladie, ce n'est qu'une indisposition. Aussi n'a-t-elle jamais donné lieu à aucune mesure de police administrative. C'est ce qu'atteste M. FELIZET, vétérinaire désigné par l'administration pour les cantons d'Elbeuf et du Grand-Couronne, qui avait été appelé, par l'adjoint d'Hautot pour visiter les vaches de DUMENIL, et ce dans un certificat qu’il a délivré à ce dernier postérieurement à dirigée contre lui.

« Je certifie, dit-il, que depuis 1840, date de l'invasion de la maladie appelée vulgairement cocotte, il n'a été pris nulle part ni recommandé aucune mesure de police sanitaire contre cette affection généralement très simple et sans aucune suite fâcheuse ; que l'abord d'aucunes foires ni d'aucuns marchés n'a été interdit aux bêtes infectées, que tous les jours on voit librement circuler sur toutes les routes. »

Et, de leur côté, tous les maires des communes voisines d'Hautot attestent que jamais ils n'ont pris aucune mesure contre les bestiaux atteints de cette maladie, et qu'ils ne les ont jamais exclus du pâturage. Lé jugement doit donc être réformé.

M. JOLIBOIS, premier avocat général, tout en rendant hommage à l'honorabilité personnelle du sieur DUMENIL, le signale comme un entêté qui, malgré la défense de son père, malgré 1’ordre formel de l'adjoint, a voulu envoyer au pâturage commun des vaches qu'il savait malades, et il persistait à tel point dans son entêtement que quand un douanier, le sieur CORBRAN, vint les faire sortir du pâturage, il les y fit rentrer, comme pour braver l'autorité. Il faut que ces faits soient réprimés s'ils constituent un délit. Or, à cet égard, les articles 460 et 461 du Code pénal punissent les individus qui auront laissé communiquer avec d'autres des bestiaux atteints de maladies contagieuses. Il n'y a rien de plus dans la loi : les indications contenues dans les anciens arrêts n'ont pas été reproduites, et il n'y a que deux choses à voir la cocotte est-elle une maladie? Est-elle une maladie contagieuse ? C'est évidemment une maladie, puisqu'elle rend difficile la marche des bestiaux qui en sont atteints, puisqu'elle les empêche de manger, et surtout puisqu'elle les prive de lait. Il n'est pas contesté qu'elle se communique par un agent intermédiaire qui porte le nom scientifique de virus, élément contagieux; c'est donc bien une maladie contagieuse.

La Cour, dans un arrêt motivé avec beaucoup de soin, a décidé que le maire d'Hautot, légalement représenté par son adjoint, était en droit de faire défense au sieur DUMENIL fils d'introduire ou de maintenir dans une prairie commune ses vaches atteintes de la cocotte, et qui devaient s'y trouver en contact avec le bétail des autres habitants de la commune ; que ce droit, formellement établi par les articles 3, n° 5, du titre XI de la loi des 16-24 août 1790, et 46 du titre X de celle des 19, 22 juillet 1791 a été consacré de nouveau par l'article 460 du Code pénal et sanctionné par les peines que prononce cet article; que, d'après l'ensemble de la législation sur les pouvoirs administratifs, et notamment aux termes de la loi du 18 jui1let 1837, obéissance provisoire était due à la défense faite par l'adjoint d'Hautot au sieur DUMENIL, en vue d'une maladie qu'il considérait comme contagieuse, et ce jusqu'à la décision de l'autorité supérieure en cas de recours, sans quoi d'ailleurs les précautions prescrites par les lois et les défenses dont parle l'article 460 du Code pénal seraient illusoires.

Mais la Cour a reconnu en même temps qu'il n'était pas suffisamment prouvé que la maladie qui s'était déclarée parmi les bestiaux de la commune d'Hautot fut due à leur communication avec les vaches de DUMENIL ; qu'il y avait des circonstances atténuantes; pourquoi la Cour a confirmé le jugement, quant à la déclaration de culpabilité sur le fait de la part de DUMENIL, d'avoir au mépris des défenses de l'administration laissé communiquer avec d'autres bestiaux des vaches infectées de la cocotte, confirmé aussi pour les circonstances atténuantes, mais a déclaré DUMENIL acquitté de la prévention d'avoir, par la communication de ses bestiaux infectés, déterminé une contagion parmi les autres bestiaux de la commune d'Hautot ;

En conséquence, émendant quant à la peine, Cour a déchargé DUMENIL de l'emprisonnement prononcé contre lui, et a réduit l'amende à 100 Fr.

 

 (*) C'est à Francisco Toggia et à ses observations dans le Piémont en 1799 que la fièvre aphteuse doit son nom. La maladie est appelée communément surlangue, claudication ou encore cocotte.

(**) l’actuel bois communal

Le virus de la Cocotte à Hautot-sur-Seine
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