Avant 1940 les écoliers d'Hautot sur Seine se rendaient à pied, à travers champs à l'école de Sahurs, avec leur repas du midi. La guerre ayant éclaté, les bombardements menaçant la vie des enfants malgré les abris et les tranchées, les parents d'élèves, dont Mr Delamare et le Maire, Mr Poullard obtiennent de l'académie, la création d'un poste d'instituteur à Hautot sur Seine.
Un maître est nommé, un local est réquisitionné : c'est un garage à bateau situé dans la propriété d'un transporteur rouennais Mr Matissard. Sous les canoës accrochés au plafond, l'instituteur nommé Mr Yves-Pierre Boulongne, normalien de la promotion 1937-1940, n'exercera, auprès de ses trente trois élèves qu'une seule année, car il sera emprisonné en raison de ses activités de résistant.
L’école d’Hautot-sur-Seine en 1940
« © Réseau Canopé – Le Musée national de l’Éducation »
Numéro d'inventaire : 2007.02714 - Ecole d’Hautot-sur-Seine 1940
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Mention manuscrite au verso :
1er octobre 1940 : Première école publique crée à Hautot-sur-Seine dans un « garage » d'une maison particulière, sortie du village vers Sahurs. - Au plafond, une périssoire appartenant au propriétaire, le mobilier provient d'une ancienne école libre catholique (bancs). Les tableaux nous proviennent de l'école publique de Sahurs.
1er instituteur : Yves Pierre BOULONGUE évacué du Havre (les Neiges). Par la suite : déporté à Buchenwald.
Conseil municipal du 27 octobre 1940 : Location d’un immeuble à usage d’école
Le Conseil municipal, Considérant que les salles de classes de Sahurs ne peuvent plus recevoir les enfants d’Hautot-sur-Seine, la population scolaire totale dépassant 120 élèves pour deux classes, Considérant que 30 enfants d’Hautot-sur-Seine ont l’âge scolaire, Vu la délibération du 15 juillet 1938 et la décision du Conseil Départemental portant création d’un poste d’instituteur à Hautot-sur-Seine, Invite M. le Maire à contracter avec Mr Morel F. propriétaire à Hautot-sur-Seine, un bail à loyer pour location d’un immeuble à usage de salle de classe et de logement d’instituteur.
Conseil municipal du 1er décembre 1940 : Achat d’un poêle
Le Conseil municipal décide d’acheter un poêle pour le chauffage de la classe. La dépense sera inscrite au B. A. de 1940.
Conseil municipal du 1er décembre 1940 : Remerciements à M. de Bonneval
Le Conseil municipal décide d’adresser à M. de Bonneval propriétaire à Sahurs ses vifs remerciements pour le don de matériel scolaire qu’il a consenti à la Commune d’Hautot-sur-Seine.
Paris-Normandie de juin 1990 : Cinquante ans après l’instituteur revient dans sa première école
Posée dans son jardin du bord de Seine, la charmante école de la commune s’est agrandie d’une salle de classe et d’un restaurant scolaire. Cinquante ans après, le premier instituteur Yves-Pierre Boulongue est revenu pour couper le ruban tricolore aux côtés de Laurent Fabius et de Mme Genevoix.
La création d’une maternelle il y a dix ans, en augmentant mes effectifs scolaires, a nécessité l’ouverture de cette classe supplémentaire à trois niveaux (CE2, CMA, CM2) de 16 élèves, baptisée Maurice Genevoix, du nom de l’illustre écrivain, honoré cette année à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance. L’inauguration qui coïncidait avec le cinquantième anniversaire de l’école, s’est déroulée en présence de nombreuses personnalités. Le maire Jean-Claude Martel-Baussant a accueilli Laurent Fabius président de l’Assemblée nationale, Tony Larue sénateur, Marc Massion conseiller régional et général, Edouard Rubio, inspecteur général de l’Education nationale. Quant à Marie-José Alligier la directrice, elle a eu le bonheur d’accueillir Mme Maurice Genevoix et Yves-Pierre Boulongue le premier instituteur de l’école, aujourd’hui professeur de sciences de l’éducation à l’université de Paris XII. Faisant échos au propos du maire qui évoqua rapidement le cheminement du dossier de la construction des nouveaux locaux, Jacques-André Alligier, l’instituteur, expliqua le choix des élus comme des enseignants, du nom de Maurice Genevoix. La directrice fit l’historique de l’école créée en 1940 dans un hangar à bateau, afin d’éviter aux enfants, qui jusqu’alors se rendaient à Sahurs, « leur repas de midi dans le cartable », les dangers des bombardements. Sans en oublier un seul, Mme Alligier nomma tous les enseignants qui se succédèrent à la tête de ma petite école, avant de revenir au premier : « jeune normalien de la promotion 1937 », M. Boulongue, auteur de poèmes dont certains ont été mis en musique par Max Pinchard.
C’est avec beaucoup d’émotion qu’il évoqua, en présence de ses anciens élèves, dont beaucoup étaient présents, sa première année « d’instit » convaincu que : « L’instruction comme le pain est la première chose à donner aux enfants », et ses difficultés à faire la classe : « Il n’y avait rien, pas de bancs, pas de livres, c’était une gageure de faire quelque chose, mais mes chers enfants je vous aimais beaucoup. » Résistant, Yves-Pierre Boulongue devait être arrêté pour être emprisonné à Rouen avant d’être déporté à Buchenwald. En évoquant ces terribles années, l’universitaire dénonça avec fermeté ceux qui à l’époque approuvaient la vis sous le joug de l’occupant, et ceux qui aujourd’hui agitent des thèses révisionnistes. Après un intermède musical, personnalités et public purent découvrir au cours d’une visite les nouveaux locaux mis en service depuis la dernière rentrée scolaire.
Rouen Gazette du 16 mai 1941 : Yves BOULONGNE
Il a juste 20 ans, puisqu’il est né le 13 mai 1921, au Essarts-Varimpré, en Seine-inférieure (*). C’est au collège de Dieppe, sous la direction d’Achille Desjardins, qu’il s’initia au sport, au football naturellement ! Mais Desjardins, un pionnier une compétence, lui conseilla bientôt de s’orienter vers l’athlétisme. Elève-maître à l'Ecole Normale de Rouen, Boulongne trouva là un club fortement charpenté, bien soutenu par le directeur M. Braudeau, bien dirigé par le mentor qui s'appelle M. Potin. Le jeune Boulongne aime le football ; il y est servi, au poste d’extrême gauche, par ses qualités de détente et de vitesse. Il adhéra au F.C. Rouen. A cheval sur le club scolaire et sur le club scolaire, Yves Boulongne put « sporter » tout à son aise, sans négliger les études. En 1938, il fut, avec le F.C. Rouen, champion de France juniors. Ce fut même lui qui, contre l’U.S. Rouet de Marseille, à Saint-Ouen marqua le but qui devait faire l’équipe championne nationale. En 1939, avec la Normale Sportive Rouennaise, il fut champion de l’Académie de Caen. En 1940, à plusieurs reprises, il figura dans l’équipe première de l’U. S. Quevillaise. Mais c’est surtout du coureur que nous voulons vous entretenir. Ses débuts en athlétisme remontent à la saison 1938 : il fut 3ème dans la finale du 100 mètres du championnat de l'Académie de Caen, championnat qu’il devait enlever la saison suivante en réalisant l’excellent temps – pour un quasi débutant - de 11” 2/10, avant de se classer 4ème au championnat de France scolaire. Encore champion d’Académie en 1940, il égala le record de Lecacheur : 11 secondes... Puis ce fut juin 1940, l’exode. En septembre, il fut nommé instituteur au Havre, puis muté à Hautot-sur-Seine, où il exerce actuellement. Il porte les couleurs de l’A.S- Cheminots de Sotteville. Ce début de saison l’a mis en vedette. Dans notre dernier numéro, nous avons commenté sa belle victoire, en 7 secondes, dans le 60 mètres de la Journée des Juniors à Paris. Notons que Boulongne, qui prépare le professorat d’Education physique, a déjà sauté 6 m. 32 et lancé le poids à 9 m. 40. Mais c’est aux 100 mètres que nous attendons ses prochains exploits.
(*) aujourd’hui partie de la commune de Callengeville.
Journal de Rouen du 19 septembre 1941 :
TRIBUNAL SPECIAL CONTRE LES MENEES COMMUNISTES
Des peines allant de 4 ans à 1 an de prison sont infligées à huit prévenus
On sait que dans une seule affaire dont les débats se sont déroulés mercredi, onze prévenus habitant Rouen ou différents point du département étaient inculpés devant le tribunal spécial de reconstitution de cellules et d’activité communiste. Huit d’entre eux ont été reconnus coupables. Ce sont d’abord deux fonctionnaires : Yves Boulongue, instituteur à Hautot-sur-Seine et Robert Pierrain (*), employé des Contributions indirectes, qui ont été condamnés chacun à 5 ans de prison et à 5.000 francs d’amende. Les autres condamnés sont Ernest Lahaye (**), domicilié 14, impasse Flaubert, à Sotteville, auquel on a infligé 4 ans de prison et 1.000 francs d’amende ; René Maquet, employé de bureau, 45 bis, rue de Fontenelle et André Charbonnel, 88, rue Eau-de-Robec, chacun 2 ans et 100 fr. Gustave Laval, 20, rue du Faubourg-Martainville et Jacques Lenenchard, pianiste, 47, rue des Faulx, chacun 1 an et 100 francs. Trois prévenus ont été relaxés. Ce sont deux étudiants en médecine : Gérard Abenovice et Serbel Widermann et une institutrice stagiaire, Melle Hélène Le Guern.
(*) Robert Pierrain (1918-1942) est fusillé comme otage le 12 mai 1942 au Mont-Valérien
(**) Ernest Lahaye (1920-1942) est fusillé comme otage le 21 février 1942, à la centrale de Poissy ou au Mont-Valérien
Fiche du camp de Buchenwald avec sa photographie mentionnant son arrestation à Hautot-sur-Seine
Yves-Pierre Boulongne, déporté français à Buchenwald, écrit "Chants de retour" :
Ne me demandez pas pourquoi mon ombre est lourde
J'ai gravé trop longtemps les rampes des carrières
Ne me demandez pas pourquoi je m'arrête souvent de rire
J'ai mal à mon cœur de vingt ans
Ne me demandez pas pourquoi les nuits sont si longues
J'ai trop de stèles à incliner
Ne me demandez pas pourquoi je guette les nuages
J'ai trop de frères à aimer
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Après sa condamnation il est interné à Rouen, Poissy puis Compiègne. Il est déporté à Buchenwald le 17 septembre 1943. Il est membre de l'organisation de la résistance clandestine des déportés au camp. Il contribue à l'élaboration de l'Anthologie des poèmes de Buchenwld qui sera publiée en 1946. Ses poèmes écrits de 1944 à 1981 ont été publié dans un recueil intitulé Mémoire rayée.

Le Monde du 1er février 2001 :
Yves-Pierre Boulongne, un des meilleurs spécialistes français de la pensée de Pierre de Coubertin, est mort jeudi 25 janvier à Sainte-Marguerite-sur-Mer (Seine-Maritime). Né le 13 mai 1921, résistant et déporté à Buchenwald de 1943 à 1945, Yves-Pierre Boulongne a d'abord été professeur d'éducation physique, avant d'être notamment conseiller culturel en Yougoslavie, en poste ensuite en Afrique, puis directeur de l'Institut national d'éducation populaire (INEP) de 1969 à 1977 et professeur à l'université Paris-XII. Sa thèse de doctorat d'Etat, L'Œuvre pédagogique de Pierre de Coubertin (1863-1937), publiée à l'occasion des Jeux olympiques de 1976 aux éditions Léméac, à Ottawa, donnait de Pierre de Coubertin une image dépassant largement le seul horizon sportif et permettait, en insistant sur la vision pédagogique du vieux baron, de mieux comprendre le projet olympique lui-même, nourri de culture classique autant que de références anglo-saxonnes et de réflexions sociopolitiques. Yves-Pierre Boulongne a prolongé cette réflexion sur le mouvement olympique dans plusieurs livres, dont Pierre de Coubertin, humanisme et pédagogie, dix leçons sur l'olympisme (éd. du CIO, Lausanne, 1999).

Sépulture d’Yves-P. Boulongue à Saint-Marguerite sur Mer
RESISTANT - DEPORTE A BUCHENWALD
