Il se dit que l’école d’Hautot-sur-Seine est à l’origine du plan IPT (L’INFORMATIQUE POUR TOUS) présenté à la presse, le vendredi 25 Janvier 1985, par M. Laurent Fabius, Premier Ministre.
Le Monde du 11 septembre 1984 : De notre envoyé spécial, à Rouen, Nicolas Beau
APRÈS LES DÉCLARATIONS DE M. FABIUS
Pédagogues distingués
Si à la télévision, mercredi, le premier ministre a pu citer en exemple un couple d'instituteurs saisis par l'informatique, il le doit à son activité de député de Seine-Maritime. Il avait eu en effet connaissance de cette expérience pédagogique exemplaire en janvier 1984 en se rendant pour la seconde fois en quelques mois à Hautot-sur-Seine, une commune de 280 habitants, près de Rouen, à l'occasion de l'inauguration d'une école. C'est là qu'il rencontra Jacques-André Alligier et sa femme Marie-José et, au fond de la salle de classe, entre les cartes et le lavabo, leur enfant chéri, l'ordinateur.
" Il a été emballé ", affirme l'institutrice et M. Laurent Fabius, qu'on dit froid et réservé à Paris, est perçu tout différemment dans sa circonscription. " Oui, c'est bien, vas-y ", disait-il aux gamins devant l'ordinateur, avec de grands gestes, raconte Mme Alligier. " Il a même fait le signe de la victoire. " Et M. Alligier de renchérir : " Ce n'est pas, lui, un ancien combattant, mais un homme jeune. Les hommes politiques compétents sont rares, mais lui, il inspire confiance. Il est efficace "
Voilà un instituteur de quarante ans à qui, apparemment, le gouvernement de M. Fabius et particulièrement le ministre de l'éducation nationale ont redonné espoir. " Je suis, comme M. Chevènement, pour l'effort, dit-il. Il va secouer les enseignants puisqu'il est un peu moins mou que le précédent. " M. Alligier, quant à lui, n'est pas un tiède. Pas un homme à perdre du temps à militer au Syndicat national des instituteurs : " Ce syndicat n'est vraiment pas très nerveux. "
Rien ne parait échapper à sa boulimie. Animateur de centre de vacances et secrétaire de mairie, il trouve le temps de cultiver un grand jardin potager, de jouer de la guitare... " Et je ne suis pas le seul, dit-il. On ignore les merveilles que recèle l'éducation nationale. "
Restent les nuits pour l'informatique découverte il y a un an grâce au milieu associatif qui, seul, d'après lui, pallie les défaillances de l'éducation nationale. " Rendez-vous compte, dit-il, il y a huit mille cinq cents instituteurs en Seine-Maritime. Or un seul stage d'informatique était organisé l'année dernière avec dix-huit places. J'avais le numéro 19. " Il fut donc condamné à être autodidacte. Dix-huit heures seulement de formation, grâce aux Francs et Franches camarades, 10 000 F de dépenses pour le matériel de base. Et vogue le basic sous les yeux éblouis des chers petits de la vallée de la Seine. Désormais, ils sont une dizaine de maîtres à mettre en commun, chaque mercredi, leurs expériences. Une petite bibliothèque informatique est même née. M. Alligier a déjà réalisé une dizaine de programmes auxquels il attribue des vertus pédagogiques : l'apprentissage - les mots s'effaçant au fur et à mesure d'une lecture rapide, - l'éclatement de la classe en plusieurs ateliers et la possibilité de pédagogie différenciée selon les niveaux.
Et les élèves ? Sont-ils aussi ravis que les maîtres ?
" C’est bien, l’ordinateur, dit un des dix-sept enfants de la classe de Mme Alligier, car il y a plein de jeux. " Gêne de la maitresse devant tant de franchise, qui lui rappelle combien il avait pris plaisir à apprendre le pluriel des noms, les tables de multiplication devant la console. " C’est vrai, c’est vrai " concède l’élève. Cela marchait-il mieux pour autant ? " Pas toujours ", répond le gamin avec une moue. On est rassuré. Les enfants de l’avenir auront la même peine que ceux du passé à apprendre l’orthographe.
Ils auront eu sous les yeux, pourtnt, un bel exemple de foi dans le progrès. A peine la commune avait-elle remboursé leur ordinateur à ce couple d’instituteurs qu’ils ont acheté, sur leurs deniers, une nouvelle machine, une imprimante. " Je croyait que mon ordinateur était le matériel de l’avenir, affirme M. Alligier. Mais ce clavier est seulement l’outil d’aujourd’hui. Demain, on parlera directement à la machine, et encore avec une voix synthétique. " Le premier ministre ne serait-il pas dépassé dans son propre fief et sur son propre terrain par ces hussards de la modernité.
Lors du Conseil Municipal d’Hautot-sur-Seine du 5 octobre 1984 les époux ALLIGIER sont félicités pour leur passage télévisé à propos du travail sur ordinateur.
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Plan informatique : conférence de presse Fabius
25 janvier 1985Reportage consacré au plan lancé cet après-midi par Laurent FABIUS. Ce plan prévoit le déploiement de 120 000 ordinateurs dans les écoles à tr...
En 1985, sous l’impulsion du premier ministre Laurent Fabius, le gouvernement français lance le plan Informatique Pour Tous (IPT). L’objectif était d’initier les enfants et leurs professeurs à l’informatique en implantant dans les écoles des ordinateurs de la marque Thomson. Au 14 juillet 1985, 20 000 établissements avaient déjà reçu les matériels, 68 000 enseignants avaient participé aux stages de formation, 2 000 ateliers fonctionnaient. Si le projet est ambitieux, il n’en est pas moins un échec. En effet la société française Thomson était en grande difficulté et les machines qu’elle proposait (TO7 et MO5) étaient obsolètes face aux Apple II de Macintosh. Par ailleurs, les enseignants n’étaient pas suffisamment formés pour guider pas à pas leurs élèves dans la maîtrise de l’outil informatique.
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Dans leur livre « Arsenic et jeunes cervelles », paru en 1987, Marie-Claude Bartholyet Jean-Pierre Despin cite le reportage fait à Hautot-sur-Seine près de Rouen : « C’est bien l’ordinateur, dit un des 17 enfants de la classe de Mme Alligier, car il y plein de jeux. » Gêne de la maîtresse devant tant de franchise qui lui rappelle combien il avait pris plaisir à apprendre le pluriel des noms, les tables de multiplication. « C’est vrai, c’est vrai », concède l’élève. » Sont-ils obstinés, tout de même ces enfant, à ne voir que jeux là où ils auraient dû voir apprentissage par le jeu.